Peux-tu nous dire qui tu es ? d'où viens-tu ? tes études et expériences ?
Je m’appelle Anthony Colard, je suis actuellement Design Manager pour les programmes Ford Performance (majoritairement Motorsport) chez Ford à Detroit.
Je suis français, émigré aux USA depuis 8 ans, et j’ai un Master en Design Industriel & Produit avec une spécialisation en Design Transport, obtenu à Strate Ecole de Design (autrefois Strate College) en région parisienne, promotion 2009.
J’occupe mon poste actuel depuis 2021. Avant Ford, j’ai travaillé au design Citroen (intérieurs production et concepts), chez Opel en Allemagne (production extérieur, notamment Opel Insignia) et Land Rover (Defender DC100 Concept + plusieurs vision models internes pour Range Rover). J’ai effectué mon stage de diplome chez Ducati en Italie où j’ai travaillé avec Bart & Gianni sur les premières Diavel et Panigale. J’ai aussi effectué un stage de 2 mois chez Toyota au Japon pendant mon échange international de 4e année de Master, et 6 mois au Portugal dans un petit studio de design (GranDesign) avec un boss génial qui m’a appris énormément sur le métier!
Comment être arrivé chez Ford Performance ?
Je suis arrivé chez Ford fin 2015, avec un premier poste chez Lincoln pour travailler sur le nouveau Corsair. J’ai pu postuler ici grace à une collègue et amie qui était à PSA avec moi et qui est venue au salon de Detroit début 2015 pour tenter de trouver un job aux USA. Elle m’a fourni les contacts à son retour en France, et on a finalement tous les deux rejoint Ford. Il se trouve que nous sommes maintenant mariés!!
Ma transition depuis Lincoln à Ford Performance s’est faite en passant sur le programme Mustang en 2018. On commençait tout juste le travail sur la nouvelle génération de Mustang (S650) et en parallèle, on a fait la Mustang Mach 1 (MY 2021-2022) que j’ai eu la chance de signer de mon coup de crayon.
Suite à ce projet, j’ai continué à travailler dans l’univers Mustang, et un jour on m’a posé un projet sur le bureau, en me disant “tu connais bien ces trucs toi, tu seras parfait pour le job”. Le projet en question : la Mustang Mach E 1400, un démonstrateur EV de 1400cv construit en collaboration avec RTR Vehicles. Ce projet a lancé en quelques sortes mon travail avec Ford Performance. Ma connaissance en design, mécanique et ingénierie a beaucoup plu au directeur de Ford Performance, Mark Rushbrook. Du coup, les projets qui ont suivi ont commencé à atterrir sur mon bureau et c’est un peu comme cela que l’équipe Ford Performance est née.
Quel est ton rôle ? Sur quels projets as-tu travaillé ?
Mon rôle actuel est donc Design Manager pour Ford Performance. Je gère une micro-équipe qui abbat un taff assez monumental. J’ai un designer (Stavros Melabiotis) + un designer graphique (Fabrice Christophe), et 3 modeleurs 3D. Avec cette équipe, on a travaillé sur toutes les Mustang de compétition qui ont vu le jour depuis l’annonce au salon de Detroit en Septembre 2022 ( Mustang GT3, GT4, DarkHorse R, NASCAR, Factory X, SuperCobraJet 1800, V8 Supercars, NHRA Funny Car), le SuperVan 4.2 pour Pikes Peak 2023, le F150 Lightning SwitchGear, les véhicules pour le rallye Rebelle, pour Baja 1000, et dernièrement une grosse partie de notre travail tourne autour du programme Ford Raptor pour Dakar 2025.
On va du dessin, ou sketch, initial, jusqu’aux décos des voitures, combinaisons/gants/chaussures/casques des pilotes, en passant par tout le suivi de la modélisation 3D des véhicules.
As-tu participé au programme Ford GT ?
J’ai rejoins Ford alors que ce programme était terminé niveau design donc je n’ai pas travaillé dessus. Ma seule interaction avec l’univers GT fut le lancement de la GT MKIV fin 2023 avec une peinture et déco unique sur laquelle Fabrice Christophe a travaillé.
MUSTANG GT3
Quelles ont été tes missions sur le projet Mustang GT3 ?
La GT3 a une place particulière dans tout cela pour moi vu que j’étais en solo à ce moment là (pas encore d’équipe) donc j’ai supporté le programme dans sa totalité en dessinant la voiture, modélisant la carrosserie, faisant les aller-retour avec les ingénieurs et aérodynamiciens, etc, jusqu’à produire et valider les modèles 3D pour l’outillage des pièces.
Cette voiture est aussi devenue le fer de lance du renouveau de l’identité Ford Performance avec le lancement de nos nouvelles couleurs et graphismes au salon de Detroit 2023 (travail sur lequel Fabrice Christophe a fortement contribué).
Quel a été le principal défi ?
La GT3, comme toute caisse de compétition, doit tenir dans une “box” de la réglementation FIA qui prend en compte appui, trainée et poids. La Mustang est un assez gros véhicule (surtout par rapport à certaines européennes), donc trouver les bonnes solutions pour avoir une voiture performante fut un assez gros challenge.
De quoi êtes-vous partis pour le design ? Sur quelle base ? Feuille blanche ?
La GT3 est homologuée à partir d’une Mustang DarkHorse (seule Mustang ayant le tarif minimum requis par la FIA pour être éligible comme véhicule en catégorie GT3). Donc pas vraiment feuille blanche, mais le règlement autorise une grande liberté de design au niveau face avant / arrière, tant que tu restes dans l’enveloppe volumique définie par la forme du pare-choc d’origine élargit à la largeur maximale du véhicule. Cela m’a permis de changer totalement le look de la voiture, notamment sur l’avant, avec une calandre supérieure plus fine et une ouverture dominante en partie basse pour un refroidissement et un appui aéro optimal. Ce theme design était en fait mon thème pour la nouvelle Mustang 7th gen lorsque je bossais sur le projet en 2018, mais à l’époque il était considéré “trop européen”. C’est amusant d’avoir fait une boucle complète du coup et d’avoir ce design sur notre fleuron en compétition ainsi que sur la Mustang GTD de production!
Avez-vous été totalement libre lors de la conception ?
Totalement, non. Il faut suivre certaines règles, et tout véhicule de compétition est un savant mélange de design, aérodynamique, ingénierie. Mais on avait un dialogue très intéressant et toujours constructif avec les ingénieurs afin de trouver la meilleure solution pour tout le monde. Aucune discipline n’est vraiment absolument dominante sur un projet comme celui-là, il faut savoir faire quelques concessions et choisir ses batailles. Le design est important vu que la GT3 représente le summum de la performance pour une icone comme la Mustang, qui fête ses 60 ans cette année. C’est la seule muscle car américaine a toujours avoir été en production, et c’est aujourd’hui un phénomène mondial qui représente un style de vie à elle seule. Comme disent les américains : big shoes to fill!
En même temps, et je l’ai dit de nombreuses fois à mes directeurs au Design, personne ne se souvient de la plus belle voiture de course du monde si elle n’a gagné aucune course. Par contre, les voitures avec un grand palmarès entrent dans l’histoire, qu’elles soient belles ou pas. Bien entendu, si elles sont belles, c’est un sacré bonus!
MUSTANG GTD
Quelles ont été Vos missions sur la Mustang GTD ?
La GTD a découlé de la GT3. Quand on a présenté “ma” GT3 à Bill Ford et Jim Farley, la première question fut “est-ce qu’on peut l’homologuer??”. On a donc attaqué le programme il y a 2 ans maintenant et mon rôle a été de superviser l’équipe Design sur ce programme. Ayant signé la GT3, je faisais le lien entres nos équipes Motorsports et l’équipe programme GTD afin de conserver autant que possible le look de la voiture de course sur la voiture de route.
Ma connaissance du programme compétition, ainsi que mon expérience avec l’équipe d’aérodynamiciens (qui a travaillé parallèlement sur les 2 projets) a permis d’apporter des solutions design et techniques sur la GTD qui n’ont jamais été vues sur une Mustang auparavant, surtout niveau aéro et refroidissement.
Le design de l’aileron arrière, par exemple, vient de la GTD et a ensuite été implanté sur la GT3, tandis que la face avant avec le refroidissement en partie basse (chose courante sur les supercars mais totalement a l’opposé d’une Mustang traditionnelle) vient de mon design sur la GT3.
Pour la GTD, j’ai eu la chance d’avoir une équipe plus fournie avec 3 designers (dont Stavros, épaulé par Omead Dorandish et un petit jeune sorti de l’école CCS à Detroit, Davis Kunselman) et une équipe de modeleurs 3D d’environ 8 personnes. Tout le monde a travaillé à un rythme affolant pendant 18 mois pour livrer une voiture complète en bossant soirs, weekends, vacances …
Quel a été le principal défi ?
La GTD est un vrai tour de force de design et ingénierie. La voiture combine énormément de technologies que l’on ne peut même pas avoir sur la GT3 de course. L’aro active et la suspension active sont les deux plus gros facteurs qui diffèrent avec une Mustang “normale”. Ensuite, le V8 compressé 5.2L prend beaucoup de place et génère beaucoup de chaleur, donc cela a été difficile à gérer niveau packaging avec tous les systèmes de refroidissement moteur / boite / pont / freins, surtout en comparaison avec la GT3 qui utilise un 5.4L atmosphérique positionné super bas et très loin en arrière.
Coté design pur et dur, transformer le look de la GT3 sur un véhicule de route fut un joli challenge. Une voiture de course peut se permettre certaines choses qu’un véhicule qui doit passer un dos d’âne ou monter dans une driveway américaine ne peut juste pas se permettre. Mais le but était d’atteindre des performances de voiture de course tout en ayant une plaque d’immatriculation, donc il a fallut être intelligent et trouver des solutions aux nombreux problèmes liés à l’homologation, la fabrication, l’assemblage en petite série, etc.
Comment s'est passé l'homologation ?
La GTD est homologuée comme un véhicule de petite série mais remplit tous les critères autant internes à Ford que fédéraux niveau homologation, comme toute autre Mustang en vente aujourd’hui. Il faut juste donc suivre les règles, pas le choix.
Penses-tu que la GTD est la version la plus extrême possible pour la route, ou est-ce que vous auriez pu faire plus hardcore encore ?
On peut toujours faire plus hardcore, et j’aurais personnellement aimé pouvoir pousser les choses encore plus loin, ou avoir une approche légèrement différente parfois. Mais on écoute aussi les attentes du client, et pour beaucoup d’entre eux, avoir une voiture qui ressemble à la voiture de course est suffisant comme expérience. Peu de gens veulent vraiment une voiture de course avec des plaques d’immatriculations… De mon coté, j’ai une assez longue expérience sur circuit en trackdays avec mes voitures, et il y a quelques choses que j’aurais aimé pouvoir offrir dans un véhicule de ce type qui au final n’ont pas quitté la planche à dessin. Mais on ne peut pas tout avoir! 😊
Tu évoques le fait que tu aurais aimé aller plus loin avec la GTD, et que certaines choses sont restées sur la planche de dessin, est-ce que tu peux nous en dire plus ? A quoi aurait ressemblé la version extrême que tu imaginais et que tu aurais voulu voir sur les routes ?
Pour la GTD, il y a quelques choses que nous n’avons pas pu faire pour des raisons d’homologation. J’aurais globalement aimé pouvoir être un peu plus proche du design de la GT3, notamment au niveau des ailes avant et du capot, mais pour des raisons de packaging du moteur et d’enveloppe des trains roulants, ce n’était pas vraiment possible.
Ma version extrême ? Je suis un pistard dans l’âme, donc elle serait nettement plus radicale, avec moins d’électronique et beaucoup plus focalisée sur le conducteur et son expérience, avec une voiture vraiment basse en permanence avec un setup suspension plus simple mais totalement réglable aux petits oignons pour coller au style de conduite de chacun. J’aurais aussi enlevé tout système “inutile” genre GPS & hi-fi. Mais bon, comme je l’ai dit, je suis un pistard, et mes références de “track toy” sont les pistardes vidées et arceautées du Nurburgring, donc je ne suis pas vraiment le client cible pour une Mustang GTD, plutôt une Mustang GT3 ou GT4 je suppose! 😝