Ma vie avec une Ford GT 2018

Francis BREITMANN, le fondateur et directeur du European Ford GT Owners Club, raconte ici, son expérience de propriétaire d’une Ford GT 2018.

Une inattendue nouvelle Ford GT

En Août 2014, une discrète rumeur fit son apparition, selon laquelle, dans le plus grand secret, Ford préparait une voiture pour revenir courir les 24 heures du Mans. Peu nombreux furent ceux qui y crurent.

La rumeur s’amplifia toutefois, lorsqu’une indiscrétion révéla que sur le plan du stand que Ford construisait pour le Salon Automobile de Detroit de Février 2015, figurait un mystérieux grand espace central dont l’occupant était appelé « Phoenix », bien connue allégorie de la résurrection permanente. Presque tout le monde imaginait y découvrir une « Super Mustang » dont une version course serait destinée aux 24 heures du Mans.

Ford prit tout le monde à contre-pied, en y exposant une inattendue, magnifique et révolutionnaire nouvelle « Ford GT ».

La première présentation de la voiture en Europe se fit au Salon Automobile de Genève, au début de Mars 2015, où je me suis évidemment précipité pour la découvrir. C’était incontestablement la vedette du salon, dans sa magnifique robe bleue, dépourvue d’artifice et d’effet de mode, totalement différente des autres nombreuses Supercars exposées, et tournant sur un podium surélevé destiné à tenir les curieux à bonne distance.

Malheureusement, je ne pu en découvrir que l’extérieur, sans voir ni l’intérieur ni la mécanique, et sans qu’un seul responsable puisse en dire un mot.

Il fut confirmé peu après, que cette nouvelle Ford GT était conçue pour gagner les 24 heures du Mans de 2016, en catégorie GT PRO, et pour ainsi commémorer, 50 ans après, la victoire des GT40 en 1966. Pour que cette nouvelle voiture soit engagée en catégorie GT, Il était nécessaire qu’au moins 500 exemplaires en soient effectivement vendus avant la fin de 2016.

Fait relativement unique : Qu’elle soit destinée à la route ou à la course, la nouvelle Ford GT et exactement la même voiture, de la conception à la réalisation. Les seules différences concernent l’adaptation aux contraintes de la course, de la sécurité et des règlements (par exemple, le moteur est identique, mais sa puissance est moins élevée sur la version course !).

Pour répondre aux obligations de l’homologation en course, le 4 Avril 2016, Ford lança une « Application », c’est à dire un appel à candidature à l’achat de la voiture, où les candidats devaient fortement argumenter, donner de solide preuves de leur passion profonde, et démontrer leur capacité à être des « Ambassadeurs » fidèles et désintéressés de la Ford GT en général, et du nouveau modèle en particulier.

En savoir plus sur le système d’allocations:

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2017+ Ford GT: de la maquette à la commercialisation

Projet Phoenix Le lien entre la course et la série est généralement marketing… Ce n’est pas le cas de la Ford GT. Ford a écrit l’Histoire des 24 heures du Mans en 1966 avec son triplé de GT40 qui franchira la ligne d’arrivée, devant Ferrari. 50 ans après, pour l’édition… Lire la suite

Une rareté délivrée sur concours

Parce que « la passion a des raisons que la raison ignore » j’ai fais acte de candidature et renvoyé mon épais dossier avant la date limite du 12 Mai 2016

Le 28 Juillet, peu après que j’aie assisté à sa victoire aux 24 heures du Mans, Ford m’annonça que j’étais sélectionné pour l’achat de la nouvelle GT.

C’était un privilège inouï, sachant que je faisais partie des seules 500 personnes retenues, sur les 6 506 candidatures enregistrées durant les 30 jours de la consultation.

A ce stade il convient de regretter que par la suite, et seulement animé par l’appât du gain, Ford soit revenu sur ses nobles engagements du début, et ait trahi ses ambassadeurs passionnés du début, au moins sur trois points.

La première trahison est que la production de la voiture, primitivement fixée à 500 exemplaires, ait été portée à 1 350 exemplaires, par une simple annonce d’Octobre 2018. La seconde trahison est qu’au fil du temps, Ford proposa aux acheteurs supplémentaires, une succession de séries spéciales, vendues beaucoup plus cher, bien qu’elles ne diffèrent souvent, que par de minuscules détails de présentation cosmétique. L’un et l’autre de ces changements de cap, ont gravement réduit la rareté, le prestige et la valeur patrimoniale des voitures, particulièrement pour les acheteurs du début. Sur le marché de l’occasion, par effet de snobisme et de prime à la rareté, les petites séries spéciales apparues plus tard, dévalorisent injustement les voitures de base. La troisième trahison, est que contrairement à son engagement du début, à ne pas vendre sa nouvelle voiture à des spéculateurs ou à des commerçants, Ford en a beaucoup vendu à ses concessionnaires, et parfois en plusieurs exemplaires.

Faire du commerce de court terme n’est pas condamnable en soi, sauf si on a juré le contraire et fortement proclamé sa vertu.

Commande définitive

En Janvier 2018, Ford est revenu vers moi pour me faire enfin connaître le prix de base de la voiture ainsi que celui des rares options, me faire signer un contrat d’achat ferme, et demander le payement d’un acompte de 50 %.

Le nombre d’options était aussi réduit que leur prix était élevé, et je ne succombais qu’à très peu d’entre elles. Les seules bandes bleues peintes sur la carrosserie blanche, indispensables pour évoquer la présentation conventionnelle des voitures américaines de course de l’après-guerre, et à s’accorder avec ma 2005 blanche à bandes bleues, me furent facturées 10 000 € !

La livraison étant programmée pour Mai 2018, j’avais juste le temps de construire un garage chauffé et sécurisé, digne écrin pour les deux bijoux que sont les Ford GT 2005 et 2018.

Livraison de J080

La livraison eut lieu en banlieue parisienne, au Ford Store de Nanterre, le 5 Juin 2018. J’y ai découvert que son V.I.N. se terminait par J080, numéro inscrit sur le tableau de bord. J080 est ainsi devenu le nom sous lequel cette voiture est désormais connue.

Ma J080 était la seconde arrivée en France, sur les 8 prévues pour y être livrées au cours de l’année 2018. La première avait été remise, quelques jours au paravant, à un « homme de paille » derrière lequel un immense et célèbre personnage central du sport automobile préservait soigneusement son anonymat. Plus tard, jamais utilisée, cette voiture rejoignit l’une des plus brillantes collections françaises.

Comme ce fut le cas pour tous, ma nouvelle Ford GT me fut présentée et expliquée en statique, par un technicien de Ford. Celui-ci avait fait le déplacement depuis l’Angleterre pour me donner plus d’une heure d’explications à un rythme soutenu, et en anglais. C’était copieux et il ne fallait rien manquer, mais je m’étais préparé en parcourant longuement le manuel d’instructions de la voiture, trouvé sur Internet.

Le soir, conformément au contrat de vente, la voiture me fut livrée chez moi, par le camion qui l’avait amenée d’Angleterre.

A l’usage

Une des caractéristique perturbantes, au moins pour les 500 premières voitures, est qu’elles avaient été commandées par des passionnées n’ayant jamais eu, au paravant, ni possibilité de l’essayer, ni même de la toucher ou de s’y assoir.

Le début de la vie commune était donc un véritable passage du monde du fantasme à celui de la réalité, avec son cortège de possibles bonnes ou mauvaises surprises.

Côté positif du bilan :

  • C’est une voiture extrêmement facile à prendre en mains et à conduire en usage routier.
  • Contrairement aux générations précédentes de Ford GT, tout est assisté électroniquement, tout est simple et tout dégage un sentiment de grande sécurité.
  • La direction est absolument parfaite de douceur et de précision.
  • La tenue de route est prodigieuse et donne le sentiment d’être en permanence sur des rails.
  • Le freinage est incroyable et probablement inégalable.
  • La boîte de vitesse est très agréable.
  • En usage routier, le moteur délivre sa puissance de façon souple et linéaire.
  • Le confort offert par les sièges et la suspension en réglage route, est inattendu et étonnamment agréable.
  • La vision arrière est correcte grâce à de généreux rétroviseurs et à la camera de recul.
  • La commande de rehaussement temporaire de l’avant, pour franchir les ralentisseurs est appréciable.
  • Pendant la période de garantie, le service a été parfait, un technicien étant spécialement venu d’Angleterre, pour réparer et régler très rapidement les problèmes.

Côté négatif du bilan :

  • Le cockpit est très étroit, relativement sombre, extrêmement rustique, et d’une grande tristesse.
  • Tout en carbone et dépourvu d’insonorisation, ce cockpit est une caisse de résonance extrêmement bruyante. Lorsqu’on voyage, on est vite fatigué et agacé par un niveau sonore sans rapport avec la vitesse raisonnable à laquelle on roule.
  • De plus, le cockpit est envahi de bruits de craquement du carbone.
  • L’impossibilité d’emmener le moindre bagage rend la voiture impropre au moindre voyage. 
  • La capacité du réservoir d’essence étant ridiculement faible, l’autonomie est très insuffisante. De plus les indications de la jauge d’essence dépendant de la vitesse, sa consultation est aléatoire et stressante.
  • Le gabarit de l’avant est difficile à déterminer.
  • Il en est de même du gabarit des cotés, du fait de la position très centrale du conducteur.
  • La commande de clignotants sur le volant est très désagréable, car introuvable dés que le volant est un tant soit peu tourné, comme dans un rond point par exemple.
  • La voiture étant faite pour rouler vite et sa mécanique devant recevoir un air de refroidissement abondant, il est impératif de lui éviter les embouteillages.
  • La batterie course étant très légère, fragile, coûteuse et difficilement accessible, alors que l’électronique est consommatrice même à l’arrêt, la voiture doit être maintenue sous chargeur dés qu’elle ne roule pas pendant quelques jours.

Ma conclusion, personnelle mais partagée par beaucoup

Du fait de mon âge et de mon absence du talent nécessaire, ma nouvelle Ford GT n’était pas destinée au circuit. Tout comme sa soeur de 2005, elle avait vocation à ne prendre la route que pour de courts voyages d’agrément, à motif touristique ou de rassemblements d’amoureux de l’automobile.

De toutes façons, la règle de mes déplacements est d’y respecter scrupuleusement le Code de la route et les impératifs élémentaires de sécurité.

Dans ces conditions d’usage, il apparut très vite que les défaut énumérés plus haut, ne faisaient pas de cette voiture, une compagne idéale.

La Ford GT 2018 est une exceptionnelle démonstration sur le plan de la performance, de l’innovation et de la maîtrise technique. Mais en réalité, c’est une voiture de course homologuée pour la route, et pas la voiture de route et de Grand Tourisme que j’attendais.

Après avoir parcouru 3 300 km avec cette Ford GT 2018, je m’en suis donc séparé à la fin de 2024, pour ne garder que l’admirable modèle 2005. Je suis très loin d’être le seul passionné européen, à avoir fait ce choix.